La Vie 07 12 2006

Publié le par Collectif contre la statue de JP2 à Ploermel

Où il est question de l'artiste !!!


LA VIE  n° 3197 du 7 au 13 décembre 2006

 

LE MONDE EN MARCHE

 

Une statue encombrante

 

 

LE 10 DÉCEMBRE, PLOËRMEL, EN BRETAGNE, INAUGURERA LA STATUE DE JEAN PAUL II, JUGÉE TROP GRANDE. UNE OEUVRE DU SCULPTEUR RUSSE ZURAB TSERETELI, PERSONNAGE CONTESTÉ.

 

 

De notre envoyée spéciale

 

 

Le car venant de Rennes s'arrête juste devant. Et, tout de suite, la statue fait son petit effet: un voyageur change de place pour pouvoir mieux observer, un autre colle son nez contre la vitre... Dans la nuit de Ploërmel, petite ville de 9 000 habitants dans le Morbihan, les 8,75 m du monument en imposent. Un jean Paul II de bronze se dresse, silhouette voûtée, surmontée d'une arche et d'une croix. Cadeau d'un sculpteur russe ami de Paul Anselin, maire UMP de la commune, l’œuvre fait parler d'elle : la statue exaspère les défenseurs de la laïcité pour lesquels sa présence dans un lieu public est contraire à la loi de 1905 sur la séparation de l'Église et de l'État. Et embarrasse même certains catholiques pratiquants, comme Hubert Lugué, conseiller municipal à la tête d'une liste rassemblant des opposants de gauche et de droite, qui n'apprécie pas de voir « utiliser la figure papale à des fins politiques et touristiques ». Même la communauté des Frères de l'instruction chrétienne de Ploërmel, pressentie pour accueillir le monument, a poliment, mais fermement, refusé l'imposant cadeau : «Trop grand, trop polémique», se justifie le frère Henri Roger (1). Et s'il y avait plus grave... D'abord, la personnalité du sculpteur pose question. Russe d'origine géorgienne, président de l'académie des beaux-arts de Moscou, Zurab Tsereteli est un homme très influent en Russie. Proche de Poutine et surtout de Iouri Loujkov, l'autoritaire maire de Moscou, ce richissime sculpteur entretient des relations troubles avec le FSB, ex-KGB, et les milieux mafieux moscovites. Il est surtout craint par les défenseurs des droits de l'homme. En juin 2003, un de ses gardes du corps a agressé Andrei Mironov, membre de l'ONG Memorial, très critique envers Poutine. «J'ai été très gravement blessé à la tête, témoigne-t-il, et hospitalisé

pendant huit semaines mais ma plainte n'a pas été instruite par les autorités judiciaires: à cette époque, j'organisais des rencontres secrètes entre hommes politiques russes et tchétchènes. »

Sur cette amitié sulfureuse, Paul Anselin cultive le mystère. «C'est un ami commun, dont je tairais le nom, qui nous a présentés », affirme-t-il. Admirateur de la Russie d'aujourd'hui - «Avec Poutine, le pays retrouve sa place dans le concert des Nations» -, le maire n'est pas

uniquement un paisible notable de province. C'est également un homme d'affaires international à la réputation discutée. Il était ainsi consultant de la société Brenco, mise en cause dans l'affaire Falcone en 2002, un dossier de vente illégale d'armes vers l'Angola. Paul Anselin affirme que la statue est un cadeau en échange d'un service rendu. Mais quel type de faveur? « Sur cette question, il a toujours sorti son joker lors des séances du conseil municipal », se souvient Hubert Lugué. Interrogé par La Vie> le maire reste évasif: «Il s'agit de services amicaux:' je l'héberge quand il vient à Ploërmel, et j'ai un jour accéléré un visa pour un de ses amis... L'âme géorgienne est très généreuse, vous savez... »

 

 

Sans doute, mais, par le passé, la générosité de Zurab Tsereteli n'a jamais été totalement désintéressée. «Ses cadeaux se sont toujours révélés empoisonnés », explique Hélène Blanc, politologue et criminologue du CNRS, spécialiste des services secrets et des milieux mafieux russes. Ainsi, en 1992, Zurab Tsereteli et son ami le maire de Moscou ont l'idée d'offrir aux États-Unis et à l'Espagne deux immenses statues de Christophe Colomb pour célébrer le 500e anniversaire dé la découverte de l'Amérique. «Zurab Tsereteli a d'abord créé une société, Colomb, chargée de trouver des fonds pour financer le projet, témoigne Hélène Blanc, puis il a demandé à Boris Eltsine, alors Président, d'exonérer de taxes les exportations de cuivre nécessaire à la réalisation des statues. » Le problème, c'est qu'une fois l'autorisation obtenue, les deux compères exporteront en tout 30 000 tonnes de cuivre.

 

«Les cadeaux de Tsereteli se révèlent toujours empoisonnés»

 

 

C'est beaucoup pour deux statues de 500 tonnes. Revendu, le métal détaxé permettra à la société Colomb de dégager un bénéfice important. « Un trafic qui fut à la fois un bon moyen de blanchir de l'argent et de s'enrichir, poursuit la criminologue. Les Ploërmelais feraient bien de s'inquiéter de tant de générosité. » Certains habitants commencent à se poser des questions, telle Christine, rencontrée sur la place de la ville: «Pourquoi ce mystère, si ce service est avouable, qu'il nous dise ce que c'est !» s'exclame-t-elle. D'autant que Paul Anselin n'en finit plus de remercier le sculpteur. Le maire de Ploërmel remettra, le 9 décembre prochain, le Bouclier d'or, la plus haute distinction de la ville pour une personnalité extérieure. Une place Zurab Tsereteli devrait également être inaugurée ce jour-là. Quant à la statue de jean Paul II, elle le sera le lendemain, 10 décembre, en présence de nombreux invités prestigieux, dont les ambassadeurs de Russie et de Pologne. Une drôle de façon de rendre hommage à la mémoire du défenseur des droits de l'homme qu'était jean Paul II.

 

 

Anne Guion

 

 

(1) Sollicité par La Vie, Mgr Centène, l'évêque de Vannes invité à l'inauguration, ne s'est pas prononcé. N° 3197 La Vie

 

Publié dans Historique

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